Les géants allemands de l’automobile ont-ils su saisir le virage technologique imposé par Tesla ?

Si l’un des rédacteurs de Tesla Magazine prédisait en décembre 2021, la fin annoncée de l’industrie allemande, ou du moins ces nombreuses difficultés actuelles et à venir, cette dernière ne serait pas si proche. Alors qu’en est-il ?

Où s’arrêtera Tesla, concurrent principal des géants de l’automobile allemande ?

Le géant de la voiture électrique fondé par Elon Musk s’est hissé – et de (très) loin – en tête du palmarès des principales capitalisations boursières du secteur de l’automobile, devant des acteurs comme Toyota ou Volkswagen, qui vendent pourtant (beaucoup) plus de voitures. A noter cependant : Tesla est plus efficace dans ses usines et dans l’innovation que ses concurrents.

Rien que le 3 janvier, l’action Tesla s’est envolée de 13%, Elon Musk ayant dévoilé des chiffres de livraisons bien meilleurs que prévu au titre du quatrième trimestre 2021. Un bond de l’action qui a ajouté en une seule séance à la capitalisation boursière de Tesla… plus que l’équivalent de la valeur boursière de Volkswagen !

Si un ajout de cette ampleur, qui reflète la folie spéculative actuelle sur l’action Tesla (et les attentes extraordinaires des investisseurs en actions), peut paraître pour le moins exagéré, il faut dire qu’en matière de voiture électrique, les constructeurs automobiles premiums de l’Allemagne accusent un “retard bien réel” sur Tesla, relève Gérard Moulin, responsable pôle actions européennes et gérant du fonds Pricing Power chez la société de gestion Amplegest.

Un outil industriel centré sur le moteur thermique pour les allemands

L’outil industriel des géants allemands de l’auto est centré sur le moteur thermique, dont les performances leur ont permis de dominer le marché mondial pendant de longues décennies. Or, il “est encore loin d’intégrer les technologies nécessaires à leur transformation vers l’électrique (batteries, logiciel, semi-conducteurs…)”, dénonce le gérant, pour qui les marques premiums allemandes restent néanmoins “bien placées pour capter la demande de demain, voire pour s’imposer dans ce monde automobile en pleine mutation”.

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En effet, “le pricing power (capacité à imposer ses prix, NDLR) des constructeurs allemands reste intact. De quoi leur donner le temps et les moyens d’accélérer leur rattrapage dans l’électrique”, selon l’expert, qui souligne que “les clients recherchent avant tout une image de marque, du confort, de la qualité, du service et une forte valeur de revente.

Une qualité premium allemande reconnue mondialement

Autant de critères sur lesquels le premium allemand continue de conserver une très forte longueur d’avance”. Les constructeurs auto plus généralistes “ont tout à craindre”, dans ce virage inéluctable vers la voiture électrique, selon Gérard Moulin, mais avec leur valeur de marque “toujours intacte”, les constructeurs premiums allemands ont un atout maître pour combler leur retard.

Avec près de 1% de part de marché mondial, “Tesla ne pourra pas être en mesure de rafler la mise avant une dizaine d’années, même en affichant une croissance de 50% par an. En clair, les constructeurs premium allemands ont dix ans pour rattraper leur retard. Et ils en ont les moyens”, juge le gérant.

Une fidélité remarquable des clients BMW, Mercedes ou Volkswagen

Il faut dire que le pricing power des géants allemands de l’auto premium n’a “pas cessé de se renforcer au cours des dernières années, gonflant d’autant leur capacité à investir”, fait valoir Gérard Moulin. Par exemple, début novembre, BMW a annoncé que le prix moyen de ses véhicules avait atteint 52.000 euros, soit 8.000 à 10.000 euros de plus qu’auparavant.

Un pricing power qui traduit “la volonté intacte des clients de payer un prix élevé pour ce qui compte vraiment pour eux tout en restant indulgent sur le reste”, relève le gérant. “Une lacune en matière d’efficacité industrielle ne fera ainsi qu’accroître le délai d’attente, sans pour autant enrayer les ventes. Un exploit hors d’atteinte pour un constructeur généraliste, dont toute défaillance risque de détourner le client au profit du marché secondaire”, ajoute-t-il.

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Une spécificité allemande à laquelle il ne faudrait pas s’habituer

Ce pricing power est “une donnée spécifiquement allemande”, juge le gérant, qui évoque les récents déboires de Jaguar, doté d’une faible capacité à imposer ses prix. Le fait que Tesla ait choisi l’Allemagne pour installer sa gigafactory (usine géante) européenne traduit sa confiance “en l’excellence du pays en matière d’ingénierie automobile”, souligne Gérard Moulin.

Bien sûr, le tissu industriel allemand devra être remanié en profondeur, mais “en dépit de leur retard, les constructeurs premiums allemands conservent toutes les cartes en main pour continuer de dominer le marché mondial dans les décennies à venir”, selon le gérant, pour qui “ils en ont à la fois le temps et les moyens”.

Quelles généralités peut-on tirer de ce cas concret ?

Tous les constructeurs historiques partent avec un handicap majeur. Ils doivent renier tout ce à quoi ils ont cru et/ou ont été formé depuis des décennies. La transformation est de surcroit à la fois technologique mais également culturelle. Nokia a disparu des radars pour bien moins que cela…  EN effet, un changement de marché va toujours plus vite que prévu (vague IPhone).

Il faut également reconnaître qu’on est encore très loin du raz de marée que l’on nous promet depuis 10 ans. Et les premiers problèmes commencent à se faire sentir maintenant que l’on n’est plus dans l’épaisseur du trait… Difficulté à trouver des bornes de recharge libres/fonctionnelles, rareté des bornes rapides, coût des recharges rapides qui se rapproche du coût du gazole, etc.

Volkswagen (mais aussi Renault et Stellantis) ont un gros coup de mou et vont devoir encaisser la vague mais la résilience de ces grands groupes (bien aidés par les pouvoirs publics / contribuables) est supérieure à ce que vous pensez. En parallèle, Tesla va commencer à être confrontée à des problèmes de croissance : vieillissement de son parc, rappels, qualité de service, densité de réseau et renouvellement de sa gamme.

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Observe-t-on un « retour en arrière » avec les VE ?

Peut-on compter sur l’essor chinois ? Quel pourcentage d’acheteur est véritablement prêt à acheter une voiture à 35.000 sur un site web de vente à distance ? Le jour où ces constructeurs devront assumer un réseau de distribution, le prix évoluera en conséquence. Mais il est vrai qu’on a à peine vu le début de la vague des véhicules électriques chinois.

En Californie, pourtant état pionnier et eco-lab de Tesla, 20% des possesseurs de Tesla repassent au VT … principalement en raison des contraintes de recharge (impossibilité d’avoir des bornes rapides proches des lieux de résidence). Et le problème se posera de la même manière en France et en Europe.

Les réseaux de distribution domestiques ne sont pas calibrés pour délivrer de fortes puissances en dehors des zones industrielles et/ou commerciales. Et lors des trajets autoroutiers, le VE doit s’arrêter à intervalles réguliers pour garantir l’arrivée à bon port. Si la borne est libre et fonctionnelle. Mais est-ce que les installateurs vont pouvoir suivre et répondre à la demande ?

Pour conclure, oui cet article met le doigt où ça fait mal… mais les choses sont plus nuancées et moins manichéennes, car le chemin vers la transition VE est encore semée de nombreuses embuches.

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